Alors que la Convention des rabbins européens se tient à Bakou, l’Arménie rate une occasion stratégique
Par Harut Sassounian
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Un événement important s’est produit la semaine dernière, impliquant l’Azerbaïdjan, la Turquie et Israël. Si notre attention est portée sur les crises internes en Arménie, nous ne devons pas négliger les événements importants impliquant les pays voisins – en particulier les pays hostiles – en raison de leur impact majeur sur la sécurité et la souveraineté de l’Arménie.
Cette semaine, la 33e Convention de la Conférence des rabbins européens, prévue à Bakou du 3 au 6 novembre 2025, a été annulée à la dernière minute. Des centaines de rabbins issus de dizaines de communautés juives du monde entier, notamment d’Europe, des États-Unis et d’Israël, devaient y participer. Il s’agirait de la première conférence de rabbins organisée dans un pays musulman. Les grands rabbins d’Israël, David Yosef et Kalman Ber, ainsi que le ministre des Affaires de la Diaspora, Amichai Chikli, et le ministre du Patrimoine, Amichay Eliyahu, avaient prévu d’y assister. La conférence devant se tenir à l’invitation du gouvernement azerbaïdjanais, le président Ilham Aliyev aurait prononcé le discours d’ouverture, profitant de l’occasion pour vanter la prétendue tolérance de l’Azerbaïdjan envers les Juifs et son alliance avec Israël.
Avant son annulation, la Conférence des rabbins européens avait annoncé que les participants à la convention de Bakou « exploreraient les relations croissantes de l’Azerbaïdjan avec la communauté juive mondiale, en mettant l’accent sur son éventuelle inclusion dans les Accords d’Abraham… L’Azerbaïdjan se trouve au carrefour du dialogue, de la diplomatie et de la continuité juive.»
Les médias ont avancé diverses raisons pour expliquer l’annulation :
— Des objections de dirigeants politiques turcs, comme Dogu Perincek, président du parti Vatan (Patrie), qui a adressé une lettre au président Aliyev l’exhortant à ne pas accueillir la conférence juive.
— Des alertes de sécurité alarmantes et des menaces crédibles émanant d’Azerbaïdjanais résidant en Iran et en Turquie, qui chercheraient à nuire aux participants à la conférence.
— Des menaces du gouvernement iranien. Le Jerusalem Post a publié un article intitulé : « L’Iran menace l’Azerbaïdjan pour qu’il annule la conférence rabbinique européenne ».
En conséquence, le Mossad, le service de renseignement extérieur israélien, a imposé des restrictions de voyage à de hauts responsables israéliens et à des personnalités religieuses.
L’Azerbaïdjan dépend fortement d’Israël pour l’achat d’armements sophistiqués d’une valeur de plusieurs milliards de dollars. Ces armements ont joué un rôle crucial dans la guerre du Haut-Karabakh en 2020, causant la mort et les blessures de milliers de soldats arméniens et permettant l’occupation de la majeure partie du territoire du Haut-Karabakh. En échange de ces armes, l’Azerbaïdjan vend à Israël plus d’un milliard de dollars de pétrole (43 % des importations totales de pétrole d’Israël), utilisé pour des opérations militaires à Gaza et ailleurs.
Israel National News a rapporté que « des messages hostiles, publiés par des Azerbaïdjanais résidant en Turquie et en Iran et s’opposant à la tenue de la conférence à Bakou, ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux ». Suite à ces menaces, les rabbins ont décidé d’annuler leur congrès et de le reporter à un autre pays.
Avant son annulation, la Conférence des rabbins européens avait annoncé que les participants discuteraient des « Accords d’Abraham, de la promotion de la liberté de religion et de la lutte contre l’antisémitisme en Europe ». Le rabbin Pinhas Goldschmidt, président de la Conférence des rabbins européens, a déclaré que son organisation visait à promouvoir le dialogue, le dialogue interreligieux et l’engagement citoyen.
L’Azerbaïdjan aurait instrumentalisé la tenue de la convention des rabbins à Bakou à des fins de propagande, se présentant faussement comme un pays tolérant envers toutes les religions et toutes les ethnies.
Il est intéressant de noter qu’en juin dernier, la réunion du Comité permanent de la Conférence des rabbins européens, qui devait se tenir à Sarajevo, capitale de la Bosnie-Herzégovine, a également été annulée. Le ministre fédéral du Travail et des Affaires sociales de Bosnie-Herzégovine a interdit la réunion, protestant contre les massacres de Palestiniens perpétrés par Israël à Gaza. En réaction, la Commission européenne a publié une déclaration critiquant cette annulation : « Il s’agit d’un acte d’exclusion délibéré visant des chefs religieux juifs au cœur de l’Europe. »
Les dirigeants de l’Azerbaïdjan et de la Turquie, qui décrivent leurs pays comme « une nation, deux États », sont des alliés proches partageant des liens ethniques, religieux et culturels similaires. De ce fait, il est rare que les deux pays s’opposent publiquement. Néanmoins, des différends ont parfois surgi.
En 2009, l’Arménie et la Turquie étaient sur le point de ratifier des protocoles qui auraient permis l’ouverture de leur frontière. Le gouvernement azerbaïdjanais a critiqué ces protocoles et accusé les dirigeants turcs de ne pas avoir respecté leurs promesses de ne pas ouvrir la frontière tant que le gouvernement arménien n’aurait pas fait de concessions sur l’Artsakh. Bakou a menacé de représailles en coupant ses exportations de pétrole vers la Turquie. L’Azerbaïdjan a même fermé plusieurs mosquées turques sur son territoire. Le président Erdogan a finalement cédé aux pressions azerbaïdjanaises et a ordonné au Parlement turc de ne pas ratifier les protocoles arméno-turcs.
C’était une occasion idéale pour l’Arménie de semer la discorde entre l’Azerbaïdjan et la Turquie. Malheureusement, comme toujours, les responsables arméniens « ne ratent jamais une occasion de rater une occasion ».
Un second différend a éclaté entre l’Azerbaïdjan et la Turquie en 2024, lorsque le président Recep Tayyip Erdogan a affirmé à plusieurs reprises que la Turquie avait joué un rôle décisif dans la victoire de l’Azerbaïdjan lors de la guerre de l’Artsakh en 2020. Un responsable de la Défense azerbaïdjanais a répliqué à Erdogan en affirmant mensongèrement qu’aucune troupe étrangère n’avait participé à la conquête militaire de l’Azerbaïdjan.
La tenue du congrès de la Conférence des rabbins européens à Bakou a de nouveau semé la discorde entre l’Azerbaïdjan et la Turquie. L’Azerbaïdjan est un proche allié d’Israël, tandis que la Turquie adopte une position extrêmement hostile à son égard – à tel point que le Premier ministre Benjamin Netanyahu a annoncé qu’Israël n’autoriserait pas la présence de forces turques à Gaza dans le cadre d’une mission de maintien de la paix.
Les responsables arméniens ont une fois de plus échoué à tirer profit du conflit entre les ennemis de l’Arménie. Au contraire, les dirigeants arméniens semblent déterminés à apaiser l’Azerbaïdjan et la Turquie – même lorsque ces deux pays sont en désaccord.

