Kocharyan poursuit Pashinyan pour diffamation ; Karapetyan poursuit plus de 150 autres personnes

Par Harut Sassounian
Dans tous les pays, les personnes accusées de crimes sont poursuivies en justice. Si elles sont reconnues coupables, elles purgent leur peine. Cependant, tant qu’un tribunal n’a pas rendu son verdict, personne n’a le droit de qualifier ces accusés de « criminels, terroristes ou contrevenants ».
La plupart des pays disposent de lois contre la diffamation, qui consiste à diffuser publiquement de fausses informations portant atteinte à l’honneur, à la dignité ou à la réputation d’une personne. En Arménie, les insultes peuvent être passibles d’une amende pouvant aller jusqu’à 3 millions de drams (environ 7 800 dollars), tandis que la diffamation peut coûter jusqu’à 6 millions de drams (environ 15 600 dollars).
Pourtant, la plupart des gens ne font pas la distinction entre accusation et culpabilité. En vertu de l’État de droit, toute personne accusée d’un crime est innocente tant que sa culpabilité n’est pas prouvée devant un tribunal.
Ces dernières semaines, le gouvernement arménien a accusé des dizaines de personnes de crimes allant de la préparation d’un coup d’État à la planification d’actes terroristes. Bien avant tout procès ou verdict, les autorités et leurs partisans ont qualifié les accusés de « criminels », ce qui a donné lieu à de nombreuses poursuites en diffamation.
Comme je l’ai signalé la semaine dernière, l’homme d’affaires russo-arménien Samvel Karapetyan, détenu dans une prison d’Erevan à la demande du Premier ministre Nikol Pashinyan pour avoir défendu le Catholicos Karékine II, a porté plainte contre deux députés pro-Pashinyan. Karapetyan a accusé Arsen Torosyan et Hayk Konjoyan d’avoir prétendu à tort qu’il entretenait des liens avec les services de sécurité russes et qu’il « volait le peuple arménien ». Karapetyan exige qu’ils retirent leurs accusations et qu’ils paient chacun 9 millions de drams (environ 23 400 dollars), plus les frais de justice.
Karapetyan a ensuite intenté trois autres poursuites :
— Contre l’attachée de presse de Pashinyan, Nazeli Baghdasaryan, pour des publications Facebook des 17 et 24 juin, accusant Karapetyan d’ingérence dans la politique arménienne sur ordre d’un pays étranger. Elle a également écrit que Karapetyan avait « participé à un coup d’État manqué mené par un groupe de crapules ». Il exige des excuses publiques.
— Contre le chef d’état-major adjoint de Pashinyan, Taron Chakhoyan, pour plusieurs publications Facebook, présentant Karapetyan comme un agent envoyé en Arménie en mission, et tenant d’autres propos « insultants ». Karapetyan considère ces déclarations comme « diffamatoires, mensongères et sans fondement », pour lesquelles il exige des excuses publiques.
— Contre le politologue Harutyun Mkrtchyan pour des interviews avec des journalistes pro-gouvernementaux et des publications Facebook, accusant Karapetyan de s’être impliqué dans des activités politiques en Arménie en tant qu’agent sous ordre étranger. Karapetyan qualifie les accusations de Mkrtchyan de « diffamatoires, fausses et sans fondement ».
Par ailleurs, l’avocat Hovhannes Khudoyan a annoncé la semaine dernière que son client Karapetyan portait plainte contre 150 autres personnes pour diffamation et insulte envers les personnes arrêtées ces derniers jours sous divers chefs d’accusation, bafouant ainsi le droit des accusés à la présomption d’innocence. L’avocat a affirmé que « les déclarations des députés, des ministres et des fonctionnaires de rang intermédiaire, ainsi que des experts et des propagandistes, sont agressives et grossières ».
Enfin, l’ancien président Robert Kocharyan a porté plainte contre le président du Parlement, Alen Simonyan, lui demandant de s’excuser et de réfuter ses « fausses » déclarations « ternissant la dignité et la réputation de Kocharyan ». Kocharyan a intenté une seconde action en justice, après que Simonyan se soit moqué de sa première plainte.
Kocharyan a également poursuivi le Premier ministre Pashinyan pour avoir faussement allégué qu’un tribunal l’avait reconnu coupable de corruption. Kocharyan exige que Pachinyan lui verse six millions de drams (15 600 dollars) d’indemnisation.
Le problème avec toutes ces poursuites est que la plupart des juges arméniens craignent encore des représailles s’ils statuent contre la volonté de Pachinyan, comme il l’a lui-même reconnu en 2018 dans un rare moment de franchise. Cela jette un sérieux doute sur les perspectives d’une justice impartiale dans ces affaires.
Les accusés ont deux options : attendre qu’un futur tribunal arménien indépendant rétablisse leurs droits après le départ de Pachinyan. Ou, s’ils sont reconnus coupables, ils peuvent faire appel du verdict devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). L’équipe juridique de Karapetyan a annoncé la semaine dernière qu’elle préparait déjà un recours devant la CEDH, espérant que la Cour de Strasbourg annulera la décision arménienne injuste. Le seul problème est que les procédures devant la CEDH peuvent prendre des années, sauf si elles sont traitées en urgence.
En attendant, l’Église apostolique arménienne devrait envisager de porter plainte contre Pashinyan et sa compagne, Anna Hakobyan, pour violation de la séparation constitutionnelle de l’Église et de l’État et pour avoir porté des accusations infondées et vulgaires contre le Catholicos Karékine II et d’autres hauts dignitaires du clergé. Si les tribunaux arméniens se prononcent contre le clergé, ils devraient saisir la Cour européenne des droits de l’homme.